Depuis la fin du XIXe siècle, sans réellement citer leurs sources, plusieurs érudits mentionnent Languédias et le château de Kérinan, dernier dont les fourches patibulaires dépendent. En 1890, Guillaume Le Sage, recteur de la paroisse de Trédias, évoque un « manoir » construit au XVIe siècle sur des vestiges plus anciens (deux tours crénelées, une guérite, des douves asséchées et comblées, etc.) et à proximité d’infrastructures seigneuriales (moulin, étang, colombier). Pour le lieu de justice, il mentionne une « potence à quatre piliers, dont on voit encore la base et les débris épars sur la lande, [et qui] montre la puissance du haut justicier ».
Pour l’ensemble des érudits du XIXe siècle[1], les différentes familles en possession du château sont les Cadier au XIVe siècle[2], les Trémigon au XVe siècle et les Espinay à partir de 1646[3]. Dans l’ensemble des documents se rapportant à ces trois familles, seules trois sources écrites rattachent clairement le lieu de justice à un seigneur justicier : François de Trémigon[4].
Dans un procès verbal établi le 20 juillet 1576 et copié en 1676, on lit que le sénéchal de Dinan Raoul Marot, accompagné de son greffier, vient régler à Kérinan un conflit survenu entre François de Trémigon et le seigneur de Quergu à propos d’un droit d’enfeu dans l’église paroissiale de Mégrit[5]. À cette occasion, alors que l’officier visite et décrit les « appartenances et dependances de la maison de Querinan », il signale qu’il a « vu au bout d’iceux la justice et fourches patibulaires du dit lieu et maison à trois postes […] »[6]. Vingt-deux ans plus tard, en 1598, la terre de Quernian est érigée par le roi en vicomté et, à ce titre, François de Trémignon a le droit d’accroîre « la justice d’icelle d’ung post », autrement dit d’avoir des fourches patibulaires à quatre piliers [7]. Un an plus tard, par lettres patentes aujourd’hui conservées dans les registres du Parlement de Bretagne, il se voit accorder le droit de foire et de marché à Saint-Rinan et, « en signe du titre du viconte », l’acte rapporte encore qu’il peut agrandir sa justice « dung post »[8].
Le tableau d’assemblage du cadastre de 1835 (section B, 1ère feuille) présente justement une « potence » àquatre piliers située à environ 200 m au sud-ouest des vestiges du château de Kérinan. Si cette structure patibulaire était encore en place au cours des XIXe-XXe siècles, les pierres qui la composent ont plusieurs fois été déplacées et volées selon Jean Guérin, président de l’association L2P22[9]. Lorsque la commune de Languédias a acquis la parcelle en 2020, les fourches ont d’ailleurs une nouvelle fois été déplacées de quelques mètres et remises en scène avec un panneau explicatif pour les visiteurs[10].
L’ensemble des déplacements et la perte des éléments architecturaux qui composaient ces fourches ne facilitent donc pas aujourd’hui leur étude. Nous pouvons toutefois affirmer qu’elles étaient de plan carré (4,80 m de côté selon le cadastre de 1835) et composées de quatre colonnes cylindriques de granit local, comme en témoignent encore les quatre bases évasés et pratiquement identiques. Sachant que les bases présentent des éclats rendant difficile leur mesure, la circonférence de leur partie haute est néanmoins comprise entre 2,02 m (P2) et 2,04 m (P1, P3 et P4) (0,64 à 0,65 m de diamètre), celle de leur partie basse oscille entre 2,53 et 2,72 m (0,80 à 0,86 m de diamètre), alors que leur hauteur est comprise entre 0,42 et 0,45 m. Ces bases supportaient des tambours (environ 0,25 m d’épaisseur pour un diamètre de 0,63 m) dont seul un exemplaire est aujourd’hui conservé in situ, alors que d’autres sont déposés dans des terrains privés adjacents. Les quatre piliers étaient coiffés d’un pinacle décoratif parce que sculpté – un cône surmonté d’une ellipsoïde – dont l’un est aujourd’hui disposé, à proximité du site, à côté de la boîte à lettres d’un propriétaire privé.
Il est aujourd’hui impossible de restituer la hauteur de ces colonnes patibulaires, de savoir à quel niveau se plaçaient les poutres ni même comment elles s’encastraient dans les piliers. Seules des comparaisons avec les fourches de Saint-Vougay (Finistère) et de Plourin (Côtes d’Armor) laissent supposer que la structure de Kérinan devait avoisiner les 4 m de hauteur voire plus. Le gibet de Bodilio (Côtes-d'Armor) et celui de Quéménet (Finistère) fournissent quant à eux des points de comparaison en ce qui concerne la partie sommitale des piliers et l’encastrement des poutres de bois.
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[1] Potier de Courcy 1862, aux paragraphes « Kérinan » (p. 28) et « Trémigon » (p. 450) ; Le Sage 1890, p. 31, etc.
[2] Le 11 septembre 1462, un acte de transaction est passé entre Jean de Kergu et Thomas Cadier seigneur de Kérinan (« Querheinan») (de Rosmorduc 1886, 1, p. 239) ; un Jean Cadier apparaît dans les registres de la Chambre des comptes de Nantes (en 1427, 1440 et 1475), un Guillaume de Cadier est inscrit au rang des hommes d’armes de la garde du duc de Bretagne (en 1465 et 1481) (De Martres 1847, p. 89-90. L’auteur signale que cette famille des Cadier apparaît en Bretagne au début du 15e siècle). Dans d’autres aveux et dénombrements, on trouve, en 1396, un Jean Jarnoan en possession des terres et seigneuries de Quérinan et, en 1533, Catherine de Challonge, épouse de Tristan de Trémigon, écuyer (A.D. Loire-Atlantique, B 2126).
[3] Par le mariage de Servanne de Trémigon et de Gabriel d’Espinay, seigneur d’Yvignac.
[4] Depuis le XIXe siècle, les érudits, sans aucune preuve historique, avancent que la structure patibulaire était constituée de deux piliers sous les Cadier, puis de trois et quatre piliers sous les Trémigon.
[5] Le conflit est réglé à l’abbaye de Beaulieu, voisine de la seigneurie de Kérinan, établissement également détenteur d’un droit de haute justice et d’un gibet apparemment implanté dans les landes de Lambrun à Yvignac (Voir A.D. Côtes-d’Armor, H 5 (actes concernant la haute, moyenne et basse justice entre 1586 et 1744)). Dans son livre censif de 1762, l’abbaye est aussi détentrice du droit de pleine justice dans « des fiefs du Mans, mouvant de la baronnie de Tucé » (Lemasson 1914, p. 83).
[6] Copie d’un Procès verbal du 20 juillet 1576, 1676, A.D. Côtes d’Armor, H 25, p. 4.
[7] Cette érection en vicomté pour François de Trémigon est enregistrée dans les mandements et édits royaux de la Chambre des comptes (A.D. Loire-Atlantique, B 67, fol. 31r-32v). Dans le Nobiliaire et armorial de Bretagne, François apparaît comme chevalier de Saint-Michel de l’ordre du roi en 1573 et comme vicomte de Trémigon en 1598 (Potier de Courcy 1862, vol. 3, p. 124-125). Un François de Trémigon est également mentionné comme vicomte dans plusieurs aveux : un pour le manoir et la métairie de la vicomté de Kérinan (A.D. Loire-Atlantique, B 1268, en 1604), un pour les métairies de Saint-Samson en Saint-Meloir et de la Ville-Esnault en Mégrit ainsi que de divers bailliages (A.D. Loire-Atlantique, B 1297, en 1604) et un pour la seigneurie du Dicq (A.D. Loire-Atlantique, B 2410, fol. 48). En 1602, on trouve une « noble dame Renee de Channee, seigneur et dame de Kerinan (Arrêts de la maintenue de noblesse éd. de Rosmorduc, 1886, 1, p. 100-101) épouse de « messire Briand de Tremigon, seigneur de Kerinan, en son vivant chevalier de l’Ordre du Roy » (Idem, 1, p. 97).
[8] Lettres patentes d’Henri IV, 17 mai 1599, A.D. Côtes d’Armor, 1 B a 10 /110. Sur le droit de foire et de marché, voir Duval 1972, p. 86-87.
[9] Languédias, Patrimoine en Poudouvre (http://www.l2p22.fr).
[10] Voir l’ensemble de la webographie à ce sujet.